Communiqué de presse du 24 octobre 2019
Vendredi 25 octobre se réunira le « Comité pour la transparence et le dialogue » créé pour faire toute la lumière sur la catastrophe industrielle Lubrizol. Si cette instance à le mérite d’exister, les écologistes mettent en doute la volonté réelle de l’État de dialoguer et de faire toute la transparence sur la catastrophe au vu des dysfonctionnements graves qui perdurent, et de l’absence de réponse sur des sujets majeurs en lien avec la santé et la sécurité de nos concitoyen.ne.s. Ces sujets ont été évoqués en Comité de suivi des sites du 16 octobre dernier par les écologistes mais également par des maires et élu.es de la Métropole de Rouen membres de ce comité, sans obtenir de réponse satisfaisante de l’État.
L’absence d’un registre sanitaire préalable à un suivi épidémiologique
En premier lieu, nous dénonçons le refus de l’État de mettre en place un registre sanitaire, demandé dès l’audition du Préfet du 30 septembre par les écologistes mais également par le Président de la Métropole ! Le registre sanitaire doit permettre d’identifier l’ensemble des personnes qui auraient pu être exposées aux polluants, sans se limiter à certaines catégories connues pour être fragiles car, comme Agnès Buzyn l’a déclaré le 02/10/19 : « personne ne sait ce que donnent ces produits mélangés quand ils brûlent » Par conséquent, l’État doit se doter de tous les moyens d’identifier tous les « signaux faibles » d’exposition aux polluants et à leurs effets cocktail. C’est l’exact contraire qu’il a fait jusqu’à présent.
L’État a demandé aux habitant.e.s de la métropole de ne pas appeler les numéros d’urgences (réservés aux urgences vitales) mais de contacter leur médecin traitant. Pourtant, Santé Publique France (SPF), missionnée par l’État, déclare baser l’ensemble de sa surveillance sur les recours aux urgences : https://www.santepubliquefrance.fr/regions/normandie/incendie-de-l-entreprise-lubrizolsurveillance-desrecours-aux-urgences
On peut ainsi lire dans le dernier bulletin concernant les services d’urgences « qu’aucune hausse inhabituelle n’est observée depuis le 26/09/2019 » Par ailleurs, SPF, évoquant le cas des médecins généralistes affirme que « A ce jour, aucun signalement en provenance de la médecine libérale n’a été remonté à Santé publique France ». Cela, alors même que le bulletin précise que dans le cadre d’une enquête régionale « 74 % des médecins ayant répondu ont déclaré avoir constaté des éléments cliniques chez leurs patients en lien avec l’accident ».
Alertée sur l’apparente contradiction entre ces deux déclarations et les très nombreux cas de signalement auprès de médecins généralistes, l’ARS a déclaré lors du comité de suivi des sites du 16/10/09 avoir fait son travail en faisant valoir un simple courrier adressé à l’ordre des médecins, et n’a pas répondu à la demande d’envoyer un courrier à l’ensemble des médecins généralistes. A ce jour, rien n’a été entrepris pour corriger ce dysfonctionnement majeur.
Au-delà de l’absence de prise en compte des médecins généralistes, le système même de remontée de l’information des services d’urgences semble défaillant. Pour exemple, la Maire de la commune du Petit-Quevilly a signalé s’être déclarée personnellement aux urgences de la Clinique de l’Europe. Elle a à cette occasion pu discuter avec le personnel médical qui lui a indiqué recevoir entre 20 et 30 patient.e.s par jour en lien avec Lubrizol. Pourtant, 9 jours après ce signalement, le tableau indique toujours, en page 9, 0 % de fiabilité de la remontée des données de ce service d’urgence…
Interrogé lors du comité du 16/10 sur les mesures prises pour y remédier, l’État a déclaré que « le sujet serait évoqué en comité de transparence du 25 octobre » (sic). De l’art et la manière de gagner du temps…
On peut constater dans le dernier tableau de bord de SPF que rien n’a été entrepris pour remédier aux défaillances de remontée d’informations des services d’urgence.
Les défaillances de l’État sont extrêmement graves car l’absence de constitution d’une base de donnée statistique fiable ne permettra pas à l’étude épidémiologique de parvenir à assurer un suivi sérieux des populations de la Métropole de Rouen notamment sur les risques liés aux effets cocktail des polluants ayant brûlé.
On peut même se demander si ce n’est pas l’absence de politique sérieuse de suivi sanitaire qui a conduit le président du groupe Lubrizol, Eric Schnur, à déclarer devant la commission d’enquête sénatoriale que « la fumée de l’incendie de l’usine [n’était] pas plus nuisible que celle d’une maison en flammes. » (sic) En effet, lorsque l’on sait par avance que le suivi médical tel qu’organisé par l’État ne permettra pas d’établir d’impact sanitaire, on peut se permettre ce type de déclaration scandaleuse. Remarquons que cela augure très mal de la volonté affichée du groupe de redevenir un « bon voisin ».
L’absence d’explication sur les défaillances de l’analyse des risques
Le directeur de la DREAL, sans vouloir reporter toute la responsabilité de la catastrophe sur l’entreprise Normandie Logistique invoque plusieurs « infractions pénales », semblant ainsi dédouaner l’État et la société Lubrizol de leurs responsabilités.
Un État qui se permet de passer un peu vite sous silence ses propres défaillances…
Ainsi, il est apparu que ni l’industriel ni les services de l’État ne semblaient informés que le toit de l’entrepôt était en fibrociment, c’est à dire contenant de l’amiante. Pourtant, lors de la Commission de suivi du 16/10 l’État a indiqué qu’il était de notoriété publique que l’ensemble des bâtiments industriels construits avant leur interdiction en 1997 comportaient des toitures en fibrociment, et que c’était le cas de la quasi totalité des bâtiments portuaires existants.
Dans ces conditions, comment l’État et l’industriel ont-il pu ignorer cette information ? Pourquoi n’en a t’on pas informé au préalable les pompiers ? Pourquoi les pompiers de disposaient pas d’équipements de protection en nombre suffisant ? Pourquoi a t’il fallu qu’un lanceur d’alerte contacte les écologistes afin que la population en soit informée dans les médias ? Autant de questions qui restent gravement sans réponse.
En outre, beaucoup plus grave, nous avons appris que l’incendie était devenu hors de contrôle car les équipes de secours ne disposaient que de deux heures de réserves d’eau sur le site pour fabriquer la mousse, seule à même d’agir contre l’incendie. Quand on sait que les responsables des pompiers ont indiqué que la maîtrise du feu en 12 heures était un record, comment la réserve en eau a-t-elle pu être conçue si insuffisante pour un site classé Seveso seuil haut ?
La réponse est sans doute dans le fait que l’État et l’industriel n’avaient pas anticipé un scénario de départ d’incendie à l’extérieur des bâtiments (les systèmes anti-incendie dits « sprinklers » se trouvent à l’intérieur des bâtiments) comme ici en provenance du voisin, Normandie Logistique.
Le silence assourdissant sur le risque, présent et futur, d’inondations
Jusqu’à présent la communication de l’État a veillé scrupuleusement à ne pas aborder le risque d’inondation auquel serait soumis le site de Lubrizol. C’est une chose de chercher à gérer un site Seveso seuil haut en zone inondable, mais cela n’a plus rien à voir lorsque les secours doivent intervenir sur un site inondé avec des produits potentiellement mortels au contact de l’eau. Les travaux sur les risques d’inondation datent de 2014, et indiquaient déjà que le site était situé en zone inondable à risque faible.
(http://www.normandie.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/TRI_Rouen-Louviers-
Austreberthe_cartes_Seine_CE_risques_cle2d1843.pdf)
Le risque est faible, mais il existe néanmoins. De plus, ces travaux sont datés, et depuis les scientifiques n’ont eu de cesse d’alerter sur l’accélération de la fonte des glaciers, la révision à la hausse des scénarios d’élévation du niveau de la mer et l’amplification des phénomènes naturels, dans notre cas de la force des marées.
L’ensemble des ces évolutions impose une révision du niveau de risque d’inondation sur le territoire de la Métropole de Rouen qui permettra d’indiquer aux autorités locales si les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) sont toujours valables, ou s’ils doivent être révisés. Pour le moment, nous n’avons eu en guise de réponse qu’un renvoi de ces problématiques à une date indéterminée.
L’absence de prise en compte du risque technologique lié au drones
Plus personne ne peut ignorer la menace que représente le développement des drones. L’État indique d’ailleurs protéger de ce risque les centrales nucléaires, et l’armée développe des moyens de dissuasion pour y faire face. Lors de son audition, nous avons interrogé le Préfet sur les mesures prises par l’État pour protéger les sites industriels Seveso seuil haut des risques liés à des attaques de ce type. Nous n’avons à ce jour aucune réponse sur les modalités de prise en compte du risque lié aux attaques de drones.
Si nous sommes conscients de la difficulté extrême pour l’État à apporter une réponse adaptée à la protection des 700 sites français classés SEVESO seuil haut contre le risque d’attaques utilisant des drones, cela ne diminue en rien le niveau d’exposition des populations vivant à proximité de ces sites, ni l’obligation de l’État à leur apporter une réponse.
Pour les élu.es écologistes de la ville de Rouen et de la Métropole de Rouen Normandie :
Françoise Lesconnec
co-présidente du groupe des élu.es de la Ville de Rouenet adjointe au Maire en charge de l’environnement et des risques technologiques
Jean-Michel Bérégovoy
co-président du groupe des élu.es de la Ville de Rouen
Cyrille Moreau
Président du groupe des élu.es de la Métropole de Rouen Normandie
et vice-président à l’environnement et aux risques technologiques