Des transports publics gratuits en Normandie ?

Article du Paris-Normandie du 22 octobre 2016

 

Notre débat. Partielle ou totale,la gratuité des transports publics progresse en France mais pas en Normandie où sa pertinence est contestée.

 

Une efficacité écologique et économique contestée

 

Quels sont les avantages et les inconvénients de la mise en place de la gratuité des transports ?
Cyrille Moreau : « En tant qu’écologiste, au départ, on se dit que ce serait bien. Et il y a effectivement deux courants opposés dans ma formation. Mais je suis aussi élu et j’ai fait des études d’économie. Pour moi, ça ne marche pas. C’est même le type même de la fausse bonne idée, avec au moins trois arguments. Le premier est financier : on se priverait d’une ressource importante d’environ 20 millions d’euros. D’autre part, on ne pourrait pas augmenter la contribution des employeurs régionaux au titre du versement transport (le versement transport (VT) est une contribution locale des entreprises de plus de 11 salariés, recouvrée par l’Urssaf pour être reversée aux autorités organisatrices de transports, NDLR). Dans la Métropole, en fonction de la taille de population et la nature des investissements réalisés, nous sommes déjà au maximum. Le deuxième concerne la fréquentation : toutes les enquêtes de mobilité montrent que le report modal est limité, avec des effets pervers. Par exemple, la majorité des nouveaux usagers suite à la mise en place de la gratuité sont d’anciens marcheurs ou cyclistes. Les automobilistes sont marginaux ! Le troisième, c’est le coût pour l’utilisateur. Aujourd’hui dans la Métropole – qui rembourse 50 % de l’abonnement – on peut prendre les transports en commun pour 16 euros par mois, un prix tout à fait abordable. »
Jean-Paul Lecoq : « C’est permettre réellement à tous ceux qui en ont besoin de recourir aux transports en commun en cassant la barrière du pouvoir d’achat. C’est œuvrer efficacement pour l’environnement, en réduisant à la source l’utilisation de la voiture en ville plutôt que de mener des politiques punitives pour les automobilistes. C’est optimiser au maximum les investissements réalisés par de l’argent public en augmentant les fréquentations… À Châteauroux, un an après la gratuité, la fréquentation a doublé. L’inconvénient majeur est de pouvoir répondre à l’afflux des demandes par les cadencements et les infrastructures. »
Une éventuelle gratuité des transports doit-elle nécessairement être accompagnée d’autres mesures ?
C. M. : « Je préconise plutôt d’avancer sur la grille tarifaire à statut établie selon des critères de revenu, de situation sociale ou d’âge, même si je ne suis pas pour l’automaticité d’une réduction pour les personnes âgées. Des mesures sont aussi nécessaires pour améliorer l’amplitude, la fréquence, la régularité. La fermeture du pont Mathilde l’a bien montré : alors que les lignes fiables type Teor ont été prises d’assaut, celles qui sont plus aléatoires ont vu leur fréquentation baisser ! C’est notamment pourquoi nous investissons 100 millions d’euros pour la ligne de bus T4. »
J-P.L. : « Il faut, en effet, revoir le cadencement, envisager une extension de lignes et d’infrastructures afin de garder une bonne qualité de service. Il faut créer des parkings de délestage pour les automobilistes aux entrées de ville. Et dans les bus et tram, la création d’emplois pour accompagner les usagers, remettre de l’humain pour faire autre chose que du contrôle de ticket… »
Un système de gratuité des transports est-il égalitaire et « moral » ?
C. M. : « Je suis pro choix, pas pour la contrainte. Le vrai combat, il est pour la qualité de service. Dès lors que les ménages à très faibles revenus disposent d’une tarification adaptée, le prix du ticket ne veut rien dire en soi. Il faut le comparer au coût d’usage de la voiture. Si on met en place la gratuité, on augmentera forcément les impôts locaux. Et des travailleurs pauvres se retrouveraient paradoxalement à payer pour les riches ! »
J-P.L. : « Il est égalitaire puisque financé entièrement par l’impôt et la contribution des entreprises, contrairement au ticket qui ignore la faculté contributive de l’usager. On nous objecte que la gratuité serait néfaste, que contribuer au financement d’un service est vertueux. Sauf que les habitants financent déjà ce service par les impôts ! Il faut arrêter ce double effet du libéralisme : payer par l’impôt et payer par les tarifs. D’autant que ce qui serait investi d’un côté pour rendre gratuit les transports serait largement compensé par les économies issues de la réduction volontaire de la voiture en ville. Notamment pour la santé, le bien-être… Et cela n’a pas de prix ! »

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