Lors du conseil municipal du lundi 25 janvier, notre groupe a présenté avec le groupe Front de gauche une motion d’urgence appelant à l’application du principe de précaution par rapport au déploiement des compteurs Linky au sein de la métropole. Le groupe Les Républicains/MoDem s’est abstenu,et le groupe socialiste a voté contre cette motion. Nous travaillons cependant sur ce sujet avec les services concernés.
La « galaxie des objets connectés » :
application du principe de précaution
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La loi de transition énergétique adoptée en juin par l’assemblée nationale a rendu obligatoire le déploiement des compteurs ERdF Linky. « Ce compteur, doté de capacités de communication bidirectionnelle (transmission et réception des informations) permet la relève à distance ainsi que le pilotage de la fourniture d’énergie. La communication s’effectue par le réseau de câblages classique entre un ensemble de compteurs installés chez les utilisateurs et un concentrateur localisé à proximité dans le poste de distribution publique, via la technologie du Courant Porteur en Ligne (CPL), qui rassemble ces données pour les transmettre au gestionnaire de réseaux. »(1) Le remplacement des anciens compteurs électriques par ces compteurs, dits « intelligents », a débuté en décembre et s’achèvera en 2021. En 5 ans donc, ce sont 35 millions de compteurs qui seront automatiquement installés chez les particuliers sur l’ensemble du territoire français. Dans notre ville, cela a aussi commencé, le premier décembre dernier, et la fin de la campagne est prévue pour 2018. Suivra ensuite le déploiement des compteurs de même type Gazpar, par GrdF. Aucune communication des pouvoirs publics n’est faite à ce sujet, et il est très difficile de s’y retrouver dans les nombreuses informations contradictoires qui se trouvent sur internet. Les citoyens ne sont pour la plupart pas au courant des conséquences éventuelles des boîtiers sur leur consommation d’énergie ou leur santé. Pourtant, cette technologie soulève de nombreuses questions.
Premièrement, tout cela est une porte ouverte à la multiplication des offres et abonnements d’un intérêt douteux pour le consommateur. En effet, contrairement aux recommandations de la Communauté de Régulation de l’Energie (CRE) en 2011 (2), le gouvernement n’a pas imposé à ERdF d’associer aux compteurs un afficheur déporté. La consultation des données sera donc possible sur internet uniquement, et il n’est garanti nulle part que cette consultation se fera sans conditions de manière gratuite. ERdF, en revanche, aura accès à de nombreuses données personnelles, et Philippe Monloubou, le PDG de l’entreprise, précise que “Les données issues de Linky pourront servir de levier d’innovation pour les start-up”. ERDF diffusera ainsi différents niveaux de données, à des acteurs distincts : des data gratuites en open data,« anonymisées », mais aussi des données payantes. “Ceci en toute transparence avec le consommateur, et seulement avec son accord, dans le respect de la Commission Nationale de l’informatique et des Libertés (CNIL)”.
La question de la sécurité des données personnelles se pose. Et, au-delà de cette question, on se rend bien compte ici que, contrairement à ce qui est annoncé par l’entreprise, l’idée n’est pas de suivre sa consommation en direct sous son toit et de l’adapter dans un souci économique ou écologique. Au contraire, on se retrouve encore ici dans un cas de figure où le consommateur est mis « sous tutelle » par divers services qui lui proposeront d’analyser pour lui ses usages et de les adapter en termes d’abonnement. L’appropriation de la technologie par l’usager n’est malheureusement absolument pas favorisée ou prise en compte. Pourtant, cette appropriation serait le seul véritable levier d’une transition comportementale indispensable à la transition énergétique.
Ensuite, le déploiement à grande échelle de Linky, alors même que le rapport commandé en janvier 2015 à Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) par le gouvernement n’a pas encore été remis, nous interroge une fois de plus sur la passivité des pouvoirs publics face à l’invasion de nos espaces de vie par les ondes électromagnétiques. Lors d’une réunion à Rouen le 16 mai 2015, l’Agence Nationale des Fréquences parlait de « spectre », ou encore de « galaxie des objets connectés » pour illustrer l’omniprésence de ces ondes, et l’importance croissante de leurs applications dans notre société. Ces applications sont toujours présentées comme des améliorations du confort des utilisateurs au quotidien, mais on oublie souvent que la multiplication des offres ne résulte ici pas d’une croissance de la demande, mais du dynamisme des technosciences.
Au-delà de toute considération politique ou idéologique sur cet état de fait, force est de constater que de plus en plus de citoyens présentent des symptômes physiques qui pourraient bien être associés aux champs électromagnétiques d’hyperfréquences. L’OMS les a classé en 2011 dans la catégorie 2B des agents « probablement cancérogènes pour l’homme », établissant un lien entre ces ondes et un risque accru de gliome, un type de cancer malin du cerveau associé à l’utilisation du téléphone sans fil. L’Agence Française de Sécurité Sanitaire de l’Environnement et du Travail (AFSSET) a reconnu en 2009 l’existence d’ « effets incontestables », et recommandé de développer la recherche, pour lever les incertitudes qui demeurent et se tenir aux aguets des signaux nouveaux qui émergeraient, et de réduire l’exposition du public (3). Les causes de ces effets sont multiples, et la recherche patine car beaucoup ne prenne toujours pas au sérieux la multiplication des cas recensés et des inquiétudes. Toujours est-il que, comme l’expose le Docteur Gérard Dieuzaide, « 86 nouveaux articles et publications portant sur l’étude des effets génotoxiques des radiofréquences ont été publiés entre 2007 et 2012. 54 (63%) montrent des effets et 32 (37%) ne montrent pas d’effets. Pour les effets génotoxiques des extrêmement basses fréquences – produites par la technologie CPL – 43 nouvelles études ont été publiées entre 2007 et 2012, 35 (81%), montrent des effets et 8 (19%) n’en montrent pas.»(4)
L’électrohypersensibilité (EHS) ou électrosensibilité est recensée dans le milieu médical depuis 1991, mais peine à être reconnue comme pathologie par l’ensemble du corps médical, particulièrement en France. Pourtant, les chiffres parlent d’eux même. Le nombre de cas déclarés depuis une vingtaine d’année est en croissance constante. De plus, d’après le Dr Dieuzaide, « Des maladies telles que la fibromyalgie et le burn-out présentent des symptômes similaires à ceux des personnes souffrant d’EHS. (…) La courbe de données recueillies en Autriche, en Allemagne, en Grande Bretagne, en Irlande, en Suède, en Suisse et aux Etats-Unis indique que 50% de la population est susceptible de devenir électrosensible d’ici à 2017 »(5)
Le principe de précaution, entré dans le droit français depuis 1965, stipule que « l’absence de certitude ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées pour prévenir des dommages graves et irréversibles. » Dans la Charte de l’environnement, inscrite dans la Constitution depuis 2004, l’article 1 indique que « Chaque personne a le droit de vivre ans un environnement équilibré et respectueux de la santé », et l’article 5 que « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en oeuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. » C’est en vertu de ces principes fondamentaux dans un monde qui avance au rythme du marché et non celui de la réflexion mesurée, que la loi Abeille « relative à la sobriété, à la transparence, à l’information est à la concertation en matière d’exposition aux ondes électromagnétiques »(6) a été adoptée par l’assemblée nationale le 29 janvier 2015. En vertu de ces principes également, que nous devons exercer notre responsabilité d’élu(e)s au service des citoyens.
Cette responsabilité, comme nous l’avons déjà répété à plusieurs reprises, est de protéger les habitants de notre ville et de leur fournir une information à la hauteur des enjeux de santé publique qui nous alertent. En 2010, la ville de Rouen et Mme Valérie Fourneyron, Maire de l’époque, avaient demandé aux opérateurs téléphoniques « plus de transparence et un réel suivi de l’exposition aux ondes », en se positionnant comme un « médiateur entre les citoyens et les opérateurs ». Suite à cela, le 8 juillet 2011, le Conseil Municipal avait adopté les termes d’une charte relative à la téléphonie mobile sur notre territoire. Les mesures prises alors pour encadrer le déploiement des antennes relais en ville doivent nous inspirer pour l’encadrement du déploiement des compteurs intelligents Linky par ERdF et Gazpar par GRdF.
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Le Conseil Municipal, devant toutes ces problématiques, demande donc :
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– Qu’un moratoire soit signé pour suspendre l’installation des compteurs Linky et Gazpar dans les bâtiments communaux sensibles (crèches, écoles, EPHAD) en attendant les conclusions du rapport de l’ANSES.
– Qu’une information lisible, globale, et documentée soit faite aux Rouennais sur ces compteurs, dans le Rouen Mag et par tous les moyens de communication mobilisables par la mairie de Rouen.
– Qu’un suivi des émissions et de l’efficacité des compteurs « intelligents » soit effectué et rendu public chaque année par ERdF.
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1 http://www.smartgrids-cre.fr/index.php?rubrique=dossiers&srub=compteurs&action=imprimer 2 CRE, Dossier d'évaluation de l'expérimentation Linky, juin 2011
3 http://www.criirem.org/antennes-relais/resume-afsset
4 Gérad Dieuzaide, Les maladies des ondes, p.38, Dangles 2014 5 Gérad Dieuzaide, Les maladies des ondes, p.14, Dangles 2014 6 http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000030212642&dateTexte=&categorieLien=id